dimanche 31 mars 2013

Philou de Pâques

Ce matin, j'ai fait croire aux enfants que pour Pâques, on mangerait Philémon, notre bébé de lait.

Ce n'est pas la première fois qu'une idée du genre nous passe par la tête, hein Madeleine?

Je me suis levée alors qu'ils étaient déjà tous dans la cuisine. Mon chum paressait encore dans le lit. J'ai installé le bébé dans son transat et je leur ai annoncé la nouvelle. Qu'on était pour le préparer avec des petits pruneaux et un oignon dans sa bouche. Qu'on le ferait cuire hyper longtemps, arrosé d'une bonne sauce, pour que sa peau soit bien croustillante et sa chair très juteuse.

Leur réaction?

- NOOOOOOOOOOOOOOONNNN!

Ben quoi, que je leur ai dit. Il est à point! Nourri de lait comme les veaux. Tout jeune comme les chevreaux. Et pis après tout les enfants, c'est pas pour rien que depuis sa naissance je l'appelle "mon petit poulet".

Philémon
Évidemment, mon grand derrière l'ordi faisait semblant de ne pas écouter la nouvelle niaiserie de sa mère.

Mon deuxième, bon public, hésitait entre la bonne blague et la tragédie pure. Jouant l'agneau sacrificiel il m'a proposé de le faire cuire lui plutôt que son bébé frère.
- Toi?!? Ark, t'es plein de muscles!
que je lui ai dit sans appel.

Les deux petits eux, bon sang que je suis méchante, n'étaient pas loin du bord des larmes.
- On le connait trop pour qu'il finisse en souper!
- Si c'est comme ça, moi, j'y gouterai même pas à ta recette!
Ils me croyaient. Sentant la catastrophe, le pré-ado en arrière de l'ordi leur a suggéré d'aller raconter ça à leur père voir, ce qu'il en pensait lui de manger Philémon pour souper.

Blanche et Albert se sont rués vers l'escalier
- Papa, papa! Maman veut faire cuire Philémon pour souper.
- Avec un oignon dans sa bouche en plus!
Mon chum, avec sa voix tonitruante d'homme des cavernes qui vient de se lever a éructé:
- Ouan? Ben vous direz à votre mère que SI elle veut manger Philémon pour souper, ben c'est MOI qui va la manger!
Eh ben.

Quatre ou six heures la cuisson d'un Philou de lait tu crois?

mercredi 20 mars 2013

Le jus d'abricot


Te souviens-tu avoir mangé pendant tes accouchements Madeleine? 

Moi, si. Des hamburgers entre autre. Pendant la naissance d’Ulysse, mon chum était parti à l’épicerie acheter tout ce qu’il faut pour des cheeseburgers de l’enfer. C’était la fin de l’été. Il avait cuisiné comme un fou et nous avait servi des burgers gros comme ça.

Toute une différence avec les maigres noix qu’on mangeait en cachette pendant que je démoulais Éloi. À l’hôpital, c’était interdit d’avoir de la nourriture. En nous surprenant la bouche pleine, une infirmière nous avait rappelé le règlement mais avait ajouté qu’elle ne dirait rien.

Pour Albert, c’était un lait frappé aux bleuets que mon chum m’avait servi tôt le matin. J’étais dans le bain pour adoucir l’effet des contractions. Un lait doux et moelleux, comme cette journée lourde de printemps.

Quand Blanche est née, c’est aussi dans le bain que j’avais mangé. Plus tôt cette journée là, j’avais croquée une pomme alors que je marchais vivement au bord de l’eau au rythme de mes contractions.

Cette fois-ci, je n’ai pas mangé. Quinze heures de contractions sans presque rien avaler. Pas faim. Sauf qu’au beau milieu de la nuit, au plus fort du travail, j’ai bien senti que ça me prendrait un peu d'énergie. Alors j’ai demandé mon jus d’abricot.

J’avais acheté ce jus un mois avant. Les enfants étaient bien avertis: «Que je n’en vois pas un boire ce jus d’abricot! C’est pour l’accouchement.» que je les menaçais.

Depuis, ce jus d’abricot me narguait bien en vue dans le garde-manger. Il me rappelait à quel point je n’en finissais plus de ne pas accoucher. Combien de fois, fatiguée de ma grossesse interminable et devant un garde-manger presque vide, j’ai pensé ouvrir le putain de jus et le servir en guise de petit spécial? Ça leur aurait fait toute une joie non, un jus d’abricot avec leurs sandwichs au beurre de pinotes?

Je me suis essayée mais un de mes grands m’a lancé, solennel: «Non maman. C’est pour l’accouchement.»

Alors quand est venu le temps, je n’allais certainement pas oublier le jus d’abricot.

J’en ai bu quelques gorgées puis je suis allée à la toilette perdre mes eaux. Ensuite, au moment de la poussée, l’accouchement est devenu difficile. 

Ce bébé, il a eu besoin d’une heure et demie de poussées pour sortir.

Quand c’est ton cinquième accouchement et que tu pousses pendant une heure et demie, t’as le temps en masse de penser à des tas d’affaires. La naissance une bulle hors du temps du cerveau reptilien? Boulechite. Y’a moyen de se faire aller le néocortex en accouchant, believe me : « Comment se fait-il que ce bébé ne sort pas? Pourquoi je n’arrive pas encore à toucher sa tête? Du méconium dans le liquide amniotique? Ok, la pompe pour l’aspirer est dans mon tiroir, si on en a besoin. Rentre ta main et dis-moi s’il avance au moins quand ça pousse, mer-de! »

C’est long une heure et demie.

Surtout que pendant de grands bouts, entre les poussées, il ne se passe pas grand chose à vrai dire. On discute, on n’en revient pas, on ajuste notre stratégie, on garde le silence, parfois. Et puis ça repart et t’as l’impression d’un ouragan qui t'écrase au sol.

Sauf que pendant l’ouragan, je m'accrochais à une seule chose. Ce verre de jus d’abricot qu’on avait posé à côté du lit. On me le présentait entre chaque poussée. On y avait mis une paille dedans et c’était pratique. En pleine tourmente, je me disais que si j'arrivais à traverser cette puissance, de l'autre côté, il y aurait du jus d'abricot. 

Gorgée par gorgée, j'ai fini par faire naître mon petit.

En tout cas.

Voici Philémon, propulsé au jus d’abricot.

samedi 16 mars 2013

Ces enfants que tu mets au monde


J’ai dit que ça allait bien. C’est vrai. Mais pas nécessairement tout le temps. Pas nécessairement tous les jours. Il y a des jours où ça ne va pas trop. Où j’ai pas trop envie de me lever, pour tout dire. Je resterais couchée. Je dormirais longtemps. Longtemps jusqu’à ce que ça passe.

Mais il y a les enfants. Et les enfants, ils ont faim.

Tu les mets au monde ces enfants-là et tout de suite ils veulent manger. Tu les nourris, les re-nourris, tous les jours, trois fois par jour, que dis-je, sept, huit fois par jour. Tu le fais par plaisir, parfois par devoir, mais toujours, tu le fais du mieux que tu peux. Et ces enfants, ceux que tu as mis au monde en te disant que tout irait bien, ce matin, ce matin où tu ne vas pas, et bien, ils ont faim.

Alors tu te lèves. Tu mets la table. Tu fais chauffer de l’eau pour ton thé et pour leur gruau. Tu verses du lait. Tu tartines des pains. Parfois, tu trouves qu’ils parlent trop fort. Parfois, tu les trouves drôles. Et quand ils sortent de table en trombe, tu ramasses, tu laves la table, tu passes le balai. Et puis tu te dis que si tu en as déjà fait tant si tôt dans la journée, tu peux sans doute faire le reste. Oh! Tu le fais avec moins de légèreté que d’habitude. Mais tu le fais. Et petit à petit, pas à pas, c’est de nouveau temps de te recoucher. Et puis, ça va, que tu te dis. Ça ira.

Le problème, c’est que tu ne sais pas forcément quoi leur dire.

S’il y a bien quelque chose que j’ai appris avec ma séparation, c’est que mes enfants me connaissent comme le fond de leur poche. On faisait les choses comme il faut, je veux dire, on ne disputait pas devant eux. Mais eux, ils sentaient. Ils savaient. Ils comprenaient peut-être même parfois ce qu’on ne comprenait pas encore tout à fait. Ça m’est apparu évident après. Alors rien ne sert d’essayer de cacher ce qui ne va pas. Je le sais maintenant.

« Je suis fatiguée. » ai-je dit aux enfants. « Je suis triste. » leur ai-je encore dit. « Ça va aller, mais là, c’est difficile. » Au début, j’avais peur de le leur dire. Mais rapidement, je me suis rendu compte que, contrairement à ce que je craignais, ils étaient rassurés. Je mettais des mots sur ce que, de toute façon, ils savaient déjà, et plutôt que de s’inquiéter, ils s’apaisaient. Et ce que j’ai vu alors dans leurs yeux, ce n’était ni de la tristesse, ni de la peur, mais de l’empathie. Et ça m’a rendue très fière d’eux.

« Je pense que tu es triste à cause de la séparation. » m’a dit Achille. « Tu es fatiguée. Tu devrais te coucher en même temps que moi. » m’a dit Rosanna. « Ça ira mieux bientôt, maman. » m’a dit mon grand Victor. Et Léopold, lui, m’a couverte de bisous. Ils m’ont donné de l’amour. Moi aussi. Des câlins. Moi aussi. Ils m’ont encouragée. Moi aussi. Alors même si ça ne va pas toujours, ça va. Parce que l’amour, maintenant, circule plus librement, en aller-retour.

Tu les mets au monde ces enfants. T’avances. T’avances. Tu fais tout pour eux. Pis un jour, tu t’arrêtes. Tu regardes derrière et tu te rends compte que, finalement, peut-être que toi aussi tu leur dois la vie.

samedi 2 mars 2013

Comment on va? On va bien.



Ça va. Ça va assez bien, je dirais.

Je dis ça parce qu’on me demande souvent ces temps-ci si je vais bien. C’est normal. C’est parce qu’en octobre, je me suis séparée. Ouais. Mon couple s’est inscrit dans la statistique des quelque 50 % qui ne résistent pas au temps. Je simplifie, bien entendu. C’est plus compliqué que ça. C’est toujours plus compliqué que ça, une relation.

Quand t’as 20 ans et toute la vie devant toi, tu penses que ça va être tout simple. Tu vas trouver un homme que tu aimes. Puis vous allez faire vie commune. Puis vous allez avoir des enfants, et une maison, et des carrières stimulantes, aussi. Puis tu vas faire du pain, des gâteaux, des bons petits plats mijotés et tes enfants seront heureux. Toi aussi. C’est tout simple le bonheur, que tu te dis. Et quand ça va être un peu plus difficile, entre ton homme et toi, tu vas travailler très fort pour recoller morceaux. Et ça va aller. Parce qu’un pot qui casse, ça se recolle toujours, non?

Seulement, finalement, c’est pas si simple. La vie, je veux dire.

Quand on a annoncé la nouvelle aux enfants, ils ont pleuré, bien sûr. Chacun à sa façon, à la mesure de son âge et de son expérience, a compris l’événement comme il a pu. Ma Rosanna s’inquiétait du fait qu’elle serait toute seule de fille quand elle serait chez son père : Tu auras Léopold! que je lui ai dit. Ça nous a fait rire entre deux averses de larmes. Achille, lui, voulait s’assurer qu’il y aurait toujours quelqu’un pour l’emmener au hockey. Et puis Léopold, que son père accompagne à la garderie tous les matins depuis 4 ans, m’a demandé en larmes si moi, je savais elle était où sa garderie? Le grand, il a pas dit grand chose. Mais des larmes, il en a beaucoup versées. Plus tard, il m’a dit qu’il ne comprenait pas comme ça se pouvait. Comment deux parents pouvaient arrêter d’être amoureux. À vrai dire, je savais pas vraiment quoi répondre, parce que ça reste assez mystérieux quand même. Alors je lui ai dit que parfois, l’amour s’effrite petit à petit. Tu fais pas exprès, à la limite, tu t’en rends pas vraiment compte. Pis à un moment c’est tellement tout cassé que t’arrives plus à le réparer. Pas l’amour des parents pour leurs enfants, ça non, mais l’amour entre parents, ça, ben, oui.

L’amour, ça se casse.

Mais on va bien. Vraiment, on va bien. De mieux en mieux. Petit à petit, notre vie se rebattit autour des nouvelles circonstances. Au fil des jours, j’apprends à redéfinir ma famille et à accepter ce qu’elle est devenue : moi et quatre petits cannetons. Jusqu’au jour où, peut-être, elle deviendra autre chose encore.

Parce qu’un pot, quand ça se casse, parfois, tu le recolles, et parfois, tu fais autre chose avec.

J’ai toujours trouvé ça beau, la mosaïque.