Aimes-tu les chefs Madeleine?
Je veux dire, est-ce que tu trouves qu'ils rejoignent ta réalité? Qu'ils t'aident dans la cuisine? Ricardo là, il t'inspire ou il t'énerve?
Moi les chefs, je sais pas...
=> Je pense que suis anti-chef Madeleine.
Je trouve qu'il y a un certain décalage entre l'offre alimentaire médiatique et la réalité de ma vie quotidienne. Décalage, pour ne pas dire abîme.
Trois fois par jour, je dois nourrir six personnes. Et ça revient chaque jour de ma vie. Pas seulement quand ça me tente là. Pas seulement quand j'ai un peu d'argent pour nous offrir homard ou foie gras. Non, tout le temps. Même quand je préférerais ne plus jamais voir une planche à découper de ma vie.
C'est pour ça que les chefs dans leur cuisine impossible, tu sais...
J'ai l'impression qu'avant, le livre de cuisine, c'était un dictionnaire. Qu'il était là pour t'aider à faire toutes les phrases que tu veux: les simples comme les plus complexes. Un outil pour t'aider à créer quelque chose de l'fun, même quand tu n'avais que du boeuf haché dans ton frigo.
Aujourd'hui, c'est l'inverse. Les livres de recettes, ce sont des phrases déjà faites. Des créations déjà complètes que tu dois répéter avec méthode et discipline. Tu ne concoctes plus un repas à partir de ce que tu as déjà, mais à partir de ce que tu dois acheter pour reproduire la belle photo sur papier glacé.
Le livre de recette que j'utilise le plus, c'est encore et toujours mon livre de Jehane Benoît. Il est dans ma cuisine, juste au-dessus du micro-ondes. Le livre que ma mère m'a donné quand je suis partie en appart. Certaines pages sont tachées. D'autres sont collées ensemble (je sais, j'ai honte). Mais il tient le coup. C'est celui que je peux ouvrir quand je n'ai pas d'idées ou quand j'oublie combien de beurre déjà dans une béarnaise.
Mon livre de Di Stasio? Il est dans mon salon, dans la belle armoire de pin. Je veux dire, il ne tient même pas tout seul ouvert sur le comptoir.
Y paraît qu'il ne s'en ai jamais fait autant. De livres de recettes je veux dire. Le Salon du livre de recette de Montréal. Ça pogne. Ça vend.
Plus que des livres d'allaitement tu penses?
Comment ça donc.
Au moment où les gens cuisinent moins. Au moment où l'accès à une nourriture saine reste difficile pour plusieurs. Où on ne sait plus faire ni pain, ni mayonnaise. Où le repas familial éclate.
Comment ça qu'on a malgré tout autant de chefs qui poussent, qui publient et qui s'éclatent partout?