Seulement 28% des Américains soupent en famille sept jours sur sept. En Grande-Bretagne, ils sont 38% à le faire. Selon la même enquête (Gallup 2004), 40% des Canadiens affirment souper ensemble de 4 à 6 fois par semaine.
C'est le déclin du repas familial Madeleine. Et c'est grave.
Des études faites dans les universités Columbia et Harvard montrent que la désintégration du souper en famille est un facteur qui contribue au stress familial, à l'obésité infantile et à la consommation de drogue et d'alcool par les adolescents.
C'est grave, oui. Parce que c'est un mythe.
Un mythe que le souper familial soit en déclin. Un mythe aussi que ça soit grave qu'il le soit.
On nous présente une image du repas familial qui est en réalité très romantique et ancrée culturellement dans un système de valeurs bien défini.
À lire certains magazines ou articles de journaux, le repas familial serait un rituel structuré qui n’aurait que des avantages pour la famille et, par extension, pour la société dans son ensemble.
Le fait que les familles mangent ensemble serait un indice de l’harmonie et de l’équilibre familial, où chacun peut s’épanouir. Un portrait idyllique menacé par la modernité et les maux qui l’accompagnent.
Quelles sont les causes identifiées de cette désintégration du repas familial?
L’entrée des femmes sur le marché du travail, diantre! Parfois, c'est quand même dit de façon plus polie: "le fait que les deux conjoints travaillent". Ensuite, ce serait la course folle qu’impose le travail, les activités sociales ou parascolaires des enfants et la distance entre le lieu de travail et la maison.
Autrement dit, le modèle social qui permet au repas familial tel qu'on l'entend de prévaloir, est celui d'une société où les femmes sont à la maison avec leurs enfants.
L'affaire, c'est que l'être humain n'a pas de tout temps mangé en famille. Au contraire même.
La structure du repas familial est née dans l’aristocratie et la bourgeoisie françaises du 18ième siècle. Ensuite, le fait de se conformer au modèle du repas bourgeois symbolisait à la fois la cohésion d’une famille et sa réussite sociale.
Évidemment, au début du 20e siècle, une minorité de gens parvenaient à mettre en pratique ce modèle. Dans les familles ouvrières ou paysannes par exemple, il arrivait souvent que tous ne mangent ni à la même heure, ni les mêmes plats. C'est seulement après la deuxième guerre mondiale, alors que les conditions de vie des familles s'améliorent que le repas idéalisé devint une réalité pour la classe moyenne en croissance.
On n'a jamais autant mangé en famille qu'au début des années 1950.
Tout ça pour dire que le repas familial traditionnel, celui que plusieurs vante, ben il renvoie à une norme arbitraire.
Si l'on tient compte de l'histoire, de la classe sociale à laquelle appartiennent les mangeurs, de leur sexe et leur âge et des multiples modèles de familles qu'a connu l'humanité, le repas familial traditionnel n'est qu'une idée, une représentation quoi.
Cette idée peut être valorisée bien sûr. Elle peut aussi être manipulée et instrumentalisée même. Faut juste être conscient qu'elle ne reste qu'une idée.
Une idée que l'on doit parfois relativiser.