mardi 29 novembre 2011

La table, le fils et la mère

Ma table de cuisine était dehors parce qu'autrement leurs scies n'entraient pas dans la salle à manger. Les scies que ça prenaient pour installer les les armoires de ma cuisine de rêve™.
Je suis revenue du travail et c'était un peu comme un rêve justement. Finalement pouvoir m'installer pour vrai!

Bon, même s'il reste quelques petits trucs ici et là...

Je n'ai pas de comptoirs encore parce qu'ils doivent prendre les mesures. Pas de plaque de cuisson parce que l'électricien ne pouvait pas venir aujourd'hui, pas de fours parce que mon oncle vient les porter demain (oui, oui, au pluriel) et pas de lavabo parce que G. avait un rendez-vous en après-midi et qu'il a du quitter plus tôt.

Est-ce que ces légers détails étaient pour nous empêcher de souper?

Non madame. Le lavabo du garage est pleinement fonctionnel, mon frigo est toujours branché dans le salon et un micro-ondes, bin même Jehane Benoît s'en servait, faque.

Le problème c'était la table dehors. Mon chum était parti à la pratique de hockey de mon fils et dans l'énervement de la découverte de la cuisine de rêve, on avait oublié de la rentrer.

On a une table un peu comme ça, en bois avec une plaque de verre sur le dessus.
Les travailleurs avaient placé la table recouverte d'une bâche sur la terrasse avec le verre juste à côté. La structure en bois se transporte bien, mais le verre lui, c'est du costaud. Sauf que tout était prêt et qu'on avait faim!

Alors j'ai demandé à Éloi de m'aider. Sous la pluie glaciale on a facilement entré la table en bois. Pour le verre, y'a fallu y aller tranquillement. Mon fils gémissait qu'il n'était pas assez fort, qu'il n'y arriverait pas, mais en l'encourageant et en y allant centimètres par centimètres, on a fini par entrer.

Sauf que.

C'était du verre. Il faisait froid dehors. Et quand même assez chaud en dedans. Bien aussi vrai que j'ai quatre enfants, une fois à l'intérieur, l'immense morceau de verre nous a éclaté dans les mains!

Des milliers d'éclats de verre partout, sur nous. Ça aurait pu être dangereux. Je peux pas imaginer si Blanche ou Albert avaient été à côté ou si mon fils avait reçu un éclat dans les yeux. On s'en est tirés avec quelques éraflures sur les mains et les avant-bras et j'ai reçu un petit éclat dans le cou.

Est-ce que c'était pour nous empêcher de souper?

J'ai tout ramassé. Ensuite dans le garage, il y avait un morceaux de contreplaqué. On aurait juré qu'il avait été coupé juste pour ça. Toujours avec Éloi, on l'a transporté, puis déposé sur notre squelette de table.

J'ai mis notre nappe par-dessus et bon appétit!

Tout à l'heure avant de se coucher, mon fils me lance:
- En tout cas, merci maman d'avoir pensé à moi en premier. Quand la vitre a éclaté, c'est fou, la première chose que tu as faite, c'est de t'inquiéter si j'étais correct! Pis toi, tu saignais dans le cou...
C'est vrai que j'ai eu peur qu'il soit blessé. Je lui ai dit de ne pas s'en faire, que c'était peut-être pas une bonne idée de lui avoir demandé de l'aide et que je m'en serais voulu s'il lui était arrivé quelque chose. Il m'a regardé avec ses grands yeux:
- Ça doit être ça une maman hein? Quelqu'un qui pense toujours à nous en premier.
Tsé, tu les aimes comme rien d'autre depuis que tu les as mis au monde pis un moment donné, sans prévenir, tu t'aperçois qu'ils s'en aperçoivent.

vendredi 25 novembre 2011

Jour 102

Ouan ben...

Les gars ont vidé la cour, remballé les échafauds, tout mis ça propre.

En-dedans, on est dans la finition. J'ai commencé à utiliser ma salle de lavage à l'étage et pris un bain dans ma nouvelle salle de bain. Je tape même ce message de notre bureau, au rez-de-chaussée, éclairée par une grande fenêtre qui donne sur les cèdres de la cour.
Je suis trop en état de choc pour me rendre compte de l'effet que ça fait.

S. avance magiquement bien avec ses pinceaux et ses rouleaux. C'est la dernière journée de L, celui qui est arrivé le premier en août dernier démolir ma cuisine d'été.

Celui qui reste sur le chantier, c'est G., l'artiste, pour les mille et unes petites finitions.

J'ai même reçu mes affaires de cuisine. Les installateurs rentrent mardi.

Ça sent enfin la fin.

Ce matin avant de quitter pour l'école, notre Ulysse s'est approché de D.
- Je te souhaite bonne chance D.
- Bonne chance?
- Oui, maman m'a dit que c'était ta dernière journée. Merci pour tout en tout cas, elle est très belle notre maison.
On aura donc survécu.

Ne reste plus qu'à s'installer. Et à continuer d'habiter cette maison qu'on aime et qu'on a finalement mis à notre image.

mercredi 9 novembre 2011

Jour 86

Malgré toutes nos bonnes intentions de départ, on rend les armes: on quitte le navire.

C'est pas parce qu'on a pas de cuisine qu'on doit quitter la maison quelques jours. C'est parce qu'on a des nouveaux planchers.

Des planchers qu'on doit sabler et vernir.

Ça n'aurait pas été si mal si ces travaux avaient été circonscrits à la nouvelle partie de la maison. L'affaire, c'est qu'on a décidé, tant qu'à faire, de faire sabler et vernir tous les autres planchers. En tout cas, ceux du rez-de-chaussée et de l'escalier, qui ont été hyper abîmés pendant les travaux.

Sabler des planchers, ça fait de la poussière en os***. Et vernir des planchers, ça sent le câ*****. Monsieur D. le sableur, a beau utiliser un vernis à base d'eau, y'a quand même un peu de COV là-dedans. Alors on va éviter ça aux petits poumons des oursons.

Un des oursons d'ailleurs, on s'en était douté, prend plutôt mal ce déménagement temporaire.

J'ai pas envie de partir d'ici! J'étais contre les rénovations! Vous auriez
dû demander à toute la famille de voter avant de décider ça!

Courage mon fils, tiens bon, on y est presque.
C'est la dernière grosse étape au fond. Quand on va revenir, je serai à exactement 10 jours de l'installation de ma nouvelle cuisine.

En attendant, avec L. et D., le nouveau chef de chantier, on a tout déménagé dans le garage (tsé, puisqu'on en a un maintenant, héhé). Tou-te, même le frigo.

C'est de la job en maudit. Je suis fatiguée en masse. Hier, au bord de l'épuisement, j'ai dit à L. d'oublier ça, que finalement, on mettrait du prélart à grandeur.

Il a juste rit.

Personne ne me prend plus au sérieux sur ce chantier.

Alors c'est ça.

En passant ne stresse pas Madeleine, on ne s'en vient pas chez vous. On s'est trouvé un super bel appart dans Rosemont. Tout meublé. Y'a même un bain, dans lequel je vais plonger dès mon arrivée ce soir après le travail.

Je ne verrai pas l'avancement des travaux pendant toute une semaine. J'ai remis à D. le porte-clé qu'Albi m'a offert pour la fête des mères en lui disant bien que s'il l'abîmait, il y aurait des conséquences.

Quand je vais revenir dans 8 jours, je pense que je vais avoir un choc. Un choc de beauté. Ensuite, ça va juste être une qualité de vie qui va s'améliorer de jour en jour.

Tu vas retrouver l'ouïe pour Noël Madeleine et moi, je devrais retrouver une maison.

Rejoice.

mardi 8 novembre 2011

Maman est malade

Comme tu le sais Annie, j'ai été malade. Très malade. Plus malade que je ne l'ai jamais été.

Tout a commencé par un vilain rhume/mal de gorge, puis j'ai eu mal aux oreilles, puis, en quelques heures, mon mal d'oreille s'est transformé en horrible double otite purulente. Deux tympans perforés. En langage médical, ça s'appelle: Ayoye. Appelle l'ambulance, je veux que quelqu'un me shoote à la morphine.

J'ai été alitée pendant plusieurs jours. J'ai passé encore d'autres jours à me déplacer péniblement de la chambre au salon, du salon à la chambre. J'ai dû entamer deux antibiothérapies puisque la première s'est avérée inefficace. Je suis devenue presque complètement sourde. À un moment, découragée, je me suis presque résignée. Coudonc, j'allais être le cas étrange de la fille qui commence par avoir un rhume et qui finit par en mourir.

Mais j'ai remonté la pente. Je ne suis pas encore complètement rétablie, mais il paraît que les choses suivent leurs cours. Si la tendance se maintient, je devrais retrouver complètement l'ouïe aux alentours de Noël.

Ce petit billet n'est pas pour que vous plaignez mon sort, il est pour dire merci. Merci à tous ceux qui m'ont écrit des courriels. Tous ceux qui ont osé appeler malgré ma surdité. Toux ceux qui ont apporté à ma famille des bons plats pas du tout végétaliens. Tous ceux qui en ont apporté des végétariens juste pour moi. Tous ceux qui sont venus faire un peu de ménage, ou aider avec les enfants, ou me tenir compagnie. Tous ceux encore qui ont accepté les retards dans mon travail, voire les annulations.

Je me savais aimée, mais pas à ce point.


Entendu pendant que j'étais sourde

"Maman, me crie Léopold, C. elle a pris ton tablier!"

"C'est correct mon loup, elle a le droit."

Léopold tourne les talons, fait deux pas, et revient.

"Mais pourquoi C. elle prend ton tablier?"

"C'est parce qu'elle en a besoin." Regard interrogateur, vaguement inquiet. "C'est correct mon chat. Stp, peux-tu aller dire à C. que je lui prête mon tablier?"

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" Maman! On a plus besoin de toi dans la cuisine!" me crie fièrement Rosanna.

"Ah non?"

"Non. C. cherchait les tasses à mesurer, alors je lui ai dit qu'elles étaient dans cette armoire-là. Et puis, elle a regardé dans cette armoire-là, et elle les a trouvées. Alors on a plus besoin de toi dans la cuisine!"

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" Maman! me crie Victor. Veux-tu que je te prépare un bol de céréales?"

"Oui, merci mon loup. Et puis, veux-tu me dire quand la bouilloire va siffler, si je ne l'entends pas?"

"C'est drôle quand même de te crier après comme ça pour que t'endendes."

"Est-ce que tu vas être malade pour toujours?" me crie à plein poumons Achille, tellement qu'il a une veine qui lui sort du cou.

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On a tous su que j'allais mieux quand j'ai recommencé à rôder dans la cuisine pendant que mon homme cuisinait.

"T'as pas mis assez de sel dans ton eau. Pourquoi tu réchauffes ça au micro-ondes? T'aurais dû verser les nouvelles pâtes sur les pâtes froides pour les réchauffer. T'en as fait beaucoup, non? Pourquoi tu mets ça dans ce tupperware-là?"

"OK. Madeleine. Décampe. Vas te reposer, tu me déranges" de me crier mon homme.

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Ce qu'il a de bien dans la maladie, c'est que ça force à redéfinir les rôles. Tsé, c'est comme au hockey, au fond. Une famille sans mère, c'est quand même un peu comme une équipe de hockey sans son joueur étoile. Les Pingouins sans Sydney Crosby, tiens.

Au début, tout le monde capote. On ne sait pas comment on va faire pour se démerder. Puis, petit à petit, il y a des joueurs qui trouvent de la place pour développer des aptitudes jusque-là ignorés. On se resserre les coudes. On fait preuve d'un peu plus de patience, d'un peu plus de compassion, d'un peu plus d'ingéniosité. C'est pas parfait, mais on s'arrange. Le lavage se fait, la bouffe se prépare, les enfants sont en sécurité. On compte des buts, quoi.

Autrement dit, Annie, je suis en train de te dire que, comme mères, ben, finalement, on est pas indispensables...

Mais ça, on n'est pas obligés de le crier.


lundi 7 novembre 2011

Le dauphin et les philosophes

Dans son blogue, Marie-Claude Lortie se demande pourquoi cette nouvelle ne fait pas la une de son journal et de tous les autres d'ailleurs.
“Trois hauts dirigeants de Cooke Aquaculture, plus grand éleveur de saumon du pays, font face à des accusations pénales. Ils sont soupçonnés d’avoir déversé un pesticide illégal dans les eaux du Nouveau-Brunswick pour lutter contre un parasite du saumon.”
À l'automne 2009, des centaines de homards étaient retrouvés morts dans la baie de Fundy, entre le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse.

Ces morts étranges soulèvent bien des questions. On finit pourtant par remonter la piste. Les pêcheurs de homards obtiennent pour la première fois des preuves de la présence d'un pesticide, la cyperméthrine, dans la baie. On soupçonne que ce pesticide, illégal au Canada, vient des élevages de saumons. Les industriels s'en servent parce qu'ils ont beaucoup de mal à lutter contre le pou de mer, un parasite qui s'attaque au saumon d'élevage.

De plus en plus de voix s'élèvent pour affirmer que l'aquaculture est une plaie et qu'il faudrait mieux réglementer les élevages de saumon. Je joins ma voix à la leur et j'ai pris la décision de ne plus acheter de saumon d'élevage.

***

Chaque dimanche, j'ai la chance de croiser deux philosophes et hier, ils se sont mis à discuter d'éthique animale. Ils m'ont appris par exemple que le dauphin est une personne non-humaine. Eh oui.

Bon, personnellement, j'ai toujours cru qu'il y avait nous, puis les animaux. Mais bon, qu'est-ce que j'en sais au fond, hein?

Selon l'un de mes deux philosophes, dans 500 ans, parce que nous mangeons de la viande, les hommes du futur porteront sur nous le même regard de dégoût que nous portons sur les hommes du 18e siècle qui avaient des esclaves.

On se disait qu'il n'avait peut-être pas tort. Pourtant, aucun d'entre nous n'étions végétariens, ni même n'avions le désir de le devenir. Il nous semblait malgré tout inévitable que, même s'il n'y a jamais eu autan d'être humains à nourrir, l'éthique animale finira par prendre de plus en plus de place.

Par exemple, pour revenir à la nouvelle de Marie-Claude Lortie, notre société ne trouve plus tolérable de tuer toute biodiversité marine simplement pour produire en grand nombre et à faible coût un saumon aux qualités de plus en plus douteuses.

Dans un même ordre d'idée, la façon dont certains porcs ou certains poulets sont élevés devraient nous en détourner pour toujours. Ce genre de choses, on s'en doute, mais on préfère ne pas les voir.

Comme l'esclavage, notre modèle alimentaire actuel repose sur l'élevage industriel des animaux. Bien sûr, de nombreuses personnes mangent une viande la plus éthique possible ou arrivent à s'en passer totalement et ne s'en portent pas plus mal. Reste qu'elles vivent en marge du système agro-alimentaire dominant. C'est un engagement qui prend de l'énergie, du temps et des connaissances.

Cet automne par exemple, on essaie de rendre possible une livraison de poules avec une amie qui en élève, mais avec l'espace, les rénos et la distance, ce n'est pas simple. J'ai aussi fait une commande pour un porc bio, mais je n'ai pas de nouvelles.

Comme je le faisais remarquer à mes amis philosophes, parfois les arguments éthiques résistent mal au fait qu'il est drôlement pratique d'avoir une épicerie au coin de la rue. Acheter du boeuf haché un soir de semaine reste une avenue simple, économique, goûteuse et culturelle de nourrir une famille de six.

Rejeter le modèle alimentaire actuel n'est pas un objectif vers lequel je tends dans l'absolu. Par contre, y être infidèle de plus en plus continue de me séduire.