mardi 4 octobre 2011

Rénovation 101

Tes histoires de rénovations, Annie, ça me fait penser à celles que j'ai déjà vécues, il y a fort longtemps. Quand je n'avais que deux enfants.

Mon homme et moi, notre première maison, c'était un duplex, bien situé, mais un peu trash. Quand on l'avait visité avec notre inspecteur, je me souviendrai toujours de ce qu'il avait dit: " La maison est bien correcte: le toit est en bon état, la brique est neuve, les fenêtres sont récentes ... sauf que... en dedans... ça fait dur."

Oui, elle faisait dur notre maison. Une cuisine avec des vieilles armoires usées. Un comptoir en mélamine magané. Un prélart fini. À peine assez d'espace pour une table et un salon adjacent qui comportait un "faux plancher": c'était un espèce de structure surélevé d'environ deux pieds, façon années 80, avec du tapis ras dessus. Une étrange amélioration. Il y avait du vert hôpital et du jaune bébé sur les murs.

Ça faisait dur, mais on s'en sacrait. On était jeunes, on était fous, mon homme a pris son croc-barre et il a tout défoncé. Et il a tout recommencé. Travaillé comme un bœuf pendant des mois pendant que je m'occupais des mômes dans un appartement pas loin.

Quand on y a emménagé, parce qu'il fallait bien le faire un jour, c'était encore un chantier. Le plancher était verni, les murs étaient peints, l'électricité était filé, la plomberie était installée, on avait une toilette, un bain même, mais pas vraiment de cuisine. Ce n'était encore qu'un concept.

Il n'y avait pas d'armoires, pas de comptoir, pas d'évier, encore moins de lave-vaisselle, pas de garde-manger.

Le premier matin dans notre nouvelle maison, j'ai figé. Paralysée. Il y avait des boîtes partout, des meubles n'importe où. Je ne trouvais rien d'autres à faire que de pleurer à chaudes larmes, mes deux bébés à mes pieds. Tu vois le genre.

Heureusement, mon homme, lui, en situation d'urgence, il devient un superhéros.

Alors, il avait branché le four et le frigo. Il avait trouvé une petite table qu'il avait posée entre les deux. Ça me faisait un petit bout de "comptoir". Ensuite, il avait trouvé une petite bibliothèque, l'avait posée sur une autre petite table, ça me faisait une "armoire" pour la vaisselle. Ensuite, il avait patenté des étagères qu'il avait montées à côté du four. Ça me faisait un "garde-manger". Finalement, il avait branché l'eau chaude dans un évier... dehors dans la cour. C'est là que j'ai fait la vaisselle pendant la première semaine. C'était ça ou le bain.

Le soir même, je faisais le premier des nombreux repas que j'ai cuisinés dans cette maison. Quand mon homme avait senti l'odeur du souper, il s'était écrié, je m'en souviens clairement : "On dirait que ça va mieux Madeleine! On arrive à cuisiner dans cette maison!"

C'est peut-être à ce moment-là qu'on a su tous les deux qu'on était enfin chez nous.

**************

Pour laver la vaisselle, évidemment, il fallait qu'on aille dans la cour. Comme il n'y avait pas de renvoi, j'avais un saut sous l'évier. Quand le saut était plein, je l'apportais à l'égout dans la ruelle et je le vidais. J'étais un peu gênée quand ma locataire d'en haut sortait sur son balcon.

Au début, j'ai bougonné, c'est clair. Puis mon homme, devant ma face boudeuse, m'avait dit qu'il était désolé et qu'il avait fait son possible pour que tout soit terminé, alors j'avais adopté un attitude plus courageuse. Au fond, j'étais pas plus mal que Maria Chapdelaine. Ou que toutes les femmes de défricheurs dans le fond de l'Abitibi. Fallait juste être patiente.

Quand même, heureusement que le mois d'octobre fut doux.

Une semaine plus tard, mon homme avait terminé de bâtir un grand ilot de cuisine dans lequel j'avais un immense évier... et un lave-vaisselle. C'est là qu'on a mangé nos déjeuners pendant plus de trois ans. Là que j'ai lavé les deux bébés qui sont nés dans cette même maison. C'est aussi dans cette cuisine que j'ai eu mon premier four acheté. Il était encastré, à convection, programmable. Le grand luxe. J'ai aussi eu un comptoir en érable, et des lumières encastrées tout partout. On y voyait bien.

Je l'ai eu ma cuisine de rêve. Jusqu'à ce qu'on vende la maison.

Je ne sais pas trop pourquoi je te raconte cette histoire. Ce n'est pas pour t'encourager, ni pour te décourager. Je dirais même pas que je retournerais à cette période de ma vie. J'en garde un souvenir réaliste.

Mais tout de même.

Je n'ai peut-être pas voyagé tant que ça dans ma vie. J'ai peut-être passé beaucoup de temps dans ma maison à élever des petits. Mais l'aventure, tu vois, je l'ai quand même vécue.

C'est juste que c'était quelque part sur la rue Chabot, en plein cœur de Montréal.

dimanche 2 octobre 2011

Présentations

Les gars du chantier, je ne les ai pas encore présenté. Depuis le 15 août, ils sont tellement là à s'incruster dans notre intimité, qu'on fini par... Comment dire... Bin de les voir jours après jour dans nos affaires, je vais te dire, ça créer une ambiance particulière dans la chaumière.


Voici B., l'entrepreneur. Décisions, factures, problèmes: tout passe par lui. C'est le premier qu'on a rencontré, en janvier dernier. Son calme et sa précision nous avaient plu. Dans un gros projet comme ça, on a besoin de quelqu'un qui sait garder son sang froid.

C'est un homme poli, sérieux, assez grand, à l'humour disons... discret. C'est le boss, mais il n'hésite pas à mettre les mains dans la bouette si nécessaire, ce qui lui vaut le respect de son équipe. Quand il parle, ça compte, alors t'as intérêt à lui apporter les bonnes réponses. Le problème, c'est que le 3/4 du temps, je n'ai aucune espèce de réponse à lui donner.
- Quand l'architecte est venu, quelles mesures il vous avait donné pour la hauteur entre la corniche et la solive de l'existant?

- Duh, blah, plllffft, flehhh...
C'est simple, chaque fois que B. me parle, j'ai l'air idiote. Et tu connais mes formidables capacités intellectuelles Madeleine, passer pour une cruche, j'ai jamais vraiment joué dans ce film là. Alors s'applique cette variante de la loi de Murphy: plus tu souhaites ne pas avoir l'air de quelque chose, plus tu en as l'air. Ce qui a fait dire à mon idiot de fils aîné:
- Cou'donc maman, es-tu amoureuse de B?

- ...

- Quand tu lui parles, t'as l'air gênée,
a ajouté son 2 watts de frère. T'es-amoureuse-de-B-euh!

- NON C'EST PAPA L'AMOUREUX DE MAMAN,
a hurlé Albert.

- Ouan. C'est votre père mon amoureux. Bon.

En tout cas. Lui là-bas, c'est D., le contremaître. C'est le premier sur le chantier, à 6h. Encore la tête dans l'oreiller, je l'entends stationner son immense pick-up beige en face de chez nous et sortir toutes ses affaires d'outils. Il prépare le terrain pour ses hommes.

Sur le chantier, quand il ne siffle pas, D. chante du Claude Dubois («fadel-twit-tedil-do-twit...») ou du Gerry Boulet («je suis celui qui frappe dedans la vie...»). Il est l'archétype du gars de construction: cigarette au bec, tatouages, cheveux en brosse, basané. Il appelle mon chum par son prénom, mais à moi, il sert du "Madame" gros comme ses biceps. Bon vivant, il a toujours le temps pour une jasette et possède un humour pour le moins douteux.
- Pu de toilettes? Câlisse y'a rien là tabarnak! Quand on construit des maisons neuves, on pisse din' boîtes à gyproc! Wouhahahaaa!
Je jurerais que B. a un peu de mal avec l'exubérance salace de D., mais moi je rigole et en plus, ça me fait plaisir de voir B. mal à l'aise.


Celui avec la salopette de travail, c'est G. L'ouvrier d'expérience. Tête grise, il est grand, mince et timide. Dans une autre vie, je l'imagine bibliothécaire. Dans un monastère au Moyen Age, genre. C'est un artiste, en tout cas il nous le dit souvent.
- Je vais vous arranger ça, vous allez voir ça va être beau. Je suis un artiste!
Toujours discret, on dirait qu'il marche continuellement sur la pointe des pieds. G. est vraiment trop gentil.
- Oh, dérangez-vous pas madame, dit-il de sa voix douce en entrant dans la maison avec sa chaisaw, je viens juste enlever la fenêtre de votre cuisine...

Puis finalement ici, c'est L., l'ouvrier le plus jeune. Lui et G. sont les premiers qui sont arrivés sur le chantier, en août. Cette journée là, L. nous avait dit en souriant:
- Vous pis moi, on va se voir pas mal souvent!
Avec sa casquette toujours vissée sur la tête, mes gars l'ont adopté. Il est très doux et a toujours du temps pour eux.
- Je parlais avec L, dit fièrement Albert, on discutait de la maternelle.
Notre maison est le plus gros projet de rénovation sur lequel L. a travaillé. Souvent, il nous accroche pour qu'on vienne voir à quel point ça avance:
- Ça va être ben beau han!
Lui-même n'est pas déplaisant à regarder. Il a toujours le sourire. Même avec la scie ronde, concentré à faire des angles impossibles. De toute l'équipe, c'est le seul qui nous appelle tous les deux par notre prénom. Ce qui plaît à mon social butterfly de chum:
- Tu trouves pas que L. est vraiment sympathique? me dit-il alors qu'on était tranquilles dans le lit. C'est un bel homme aussi, non?

- COU'DONC, es-tu amoureux de L.?!?

-
(voix de l'autre côté du mur) NON, C'EST TOI L'AMOUREUSE DE PAPA!

Tsé quand on dit que les rénos sont difficiles sur la vie d'un couple... Bin c'est ça.

jeudi 29 septembre 2011

Viens voir les comédiens

Le jour où ça c'est décidé - Scène 1

[Rideaux s'ouvrent. Salle à manger d'une maison du 514. Fin d'après-midi de septembre. Coups de marteaux, drill et chain saw en arrière plan. Soleil inonde la pièce. Elle et lui sont assis à table. Ils se font face, mais regardent dans le vide.]

Lui: Combien de temps déjà il a dit qu'on n'aurait pas de cuisine?

Elle: Une semaine. L'entrepreneur a dit que viendrait un moment où on n'aurait pas de cuisine pendant "au moins une bonne semaine".

[Silence]

Lui: Va falloir penser à quelque chose. On pourra pas rester ici.

Elle: Ouan. On pourra pas. Mais on va où? Y'a jamais assez de place chez mes parents, oublie ça. En plus le trafic...

[Silence]

L: On pourrait... séparer la famille.

E: SÉPARER LA FAMILLE, ES-TU FOU?!?

L: Capote pas. Regarde. Admettons. Toi pis Blanche, vous allez chez tes parents. Moi pis les gars, on va... euh... on va chez Madeleine.

E: Ah ouan, han? Chez Madeleine. Y vont aimer ça.

[Silence]

E: Pourquoi pas louer deux chambres au Motel Ideal sur Lajeunesse? Y doit avoir des cuisinettes! Pis on va être juste entre l'école pis le CPE...

L: AU MOTEL IDEAL, ES-TU FOLLE?!?

[Silence
*marteaux, drill, chain saw*
Silence]


E: L'entrepreneur là... si tu te souviens, il a bien dit qu'on n'aurait plus ...

E + L: ... de cuisine, ouan.

E: ... y'a pas dit qu'on n'aurait plus de... maison. Y'a ben dit, plus de...

L: ... cuisine... Ouais! Tu veux dire que...

E: ... que au fond, une cuisine... s'tu si *grave* si on n'a pas pendant une semaine? Tsé, on a nos lits, la toilette de la cave...

L: Ouin, vrai. Le resto pendant une semaine, c'est clair que c'est moins compliqué que de déménager tout le monde...

E: Pis moins cher que le Motel! À part ça le resto, pfft... Pas besoin d'y aller trois fois par jour non plus. On a juste besoin d'une glacière pour les déjeuners ou des repas froids! Qu'est-ce t'en penses?

L: Au fond... Ouan. Ok.

E: Ok. Au fond. Tsé.

[Les deux se lèvent. Retournent à leurs affaires. Fondu au noir. Rideaux.]

mardi 27 septembre 2011

Cuisine de brousse

Le fun commence.

On s'est assis avec notre entrepreneur et son contremaître hier. Lundi prochain, ils ouvrent.

Traduction: ils défoncent les murs pour raccorder la nouvelle partie à l'existant. Et l'endroit où ils ouvrent au rez-de-chaussé =>> c'est ma cuisine.

Selon mon entrepreneur, c'est un détail:
- Ok. On va défoncer ici, mais on va vous faire un mur temporaire par là. Le four va aller dans votre salle à manger, pis le frigo aussi. L'électricien va juste passer les fils. Facile de même.
Pour le contremaître aussi, c'est un détail:
- Deux ou trois armoires, ça vous tenterait? Je vais vous les clouer en haut ici, sur le mur du côté. Je peux vous en mettre à terre aussi, vous allez pouvoir garder vos affaires.
- Ok, je dis avec une voix que j'espère limite nonchalante-j-en-ai-vu-d-autres, pis... avez-vous pensé... à un point d'eau?

- L'évier, tu veux dire Annie,
a corrigé sans nonchalance aucune mon chum. L'évier, pis le lave-vaisselle.
Les deux se sont regardés comme si on parlait araméen. Visiblement, c'était un détail auquel ils n'avaient pas pensé. Ils se sont reculés dans la cuisine avec le plan en faisant un caucus auquel le commun des mortels ne comprend pas grand chose.

Après 3 secondes et quart de gesticulations et discussions animées, ils sont revenus nous voir:
- Pas de trouble. À place, on va faire passer le mur temporaire ici, juste à côté de la colonne de plomberie...

- ... les fils électriques vont passer par là...

- ... jusqu'à votre four, dans salle à manger...

- ... pis ici, on va vous installer une cuve amovible. Avec le lave-vaisselle à côté...

- ... peut-être. Le lave-vaisselle à côté.
Là, j'ai eu furieusement envie de hurler de rire. J'aurais juré qu'eux aussi. Mon chum lui, avait les yeux grands, grands. Il ressemble à Albi dans ce temps là, mais c'est un autre sujet.

Faque c'est ça. Faut tout vider la cuisine. Tou-te. Il vont stripper en une seule journée. Le soir, ça va être sur le gyproc. Et je vais avoir ma cuisine de brousse.

Avec peut-être pas de lave-vaisselle.

Jour 43

lundi 26 septembre 2011

Géopolitique et pâté chinois

Des fois les repas avec quatre enfants sont chaotiques, mais il arrive aussi qu'il se passe quelque chose sans que tu saches trop comment ça commence... Ce soir, je pense que c'est avec une question d'Éloi.
- Maman, admettons qu'on est en chicane toi et moi. Si moi, je pense que j'ai raison et que toi aussi tu penses que tu as raison, ben personne a tort, hein? Ça dépend du point de vue.
Dimanche soir, j'étais seule avec les enfants. Pour souper, je ne sais pas pourquoi, je leur ai proposé du pâté chinois et ils étaient fous de joie.

Le relativisme, ça me fait plaisir chez mon presque 10 ans. Un moment donné, l'univers continuellement divisé entre les-méchants et les-gentils, ça va faire.

Sauf qu'en même temps, c'est tu énervant rien qu'un peu les gens pour qui tout s'équivaut... Des méchants, y'en a pour vrai, tsé!
- Hitler par exemple les boys. Même si lui pensait qu'il avait raison, bien il avait tort.
Six yeux rivés sur moi.
- Pourquoi il avait tort?
- Pourquoi il faisait la guerre?
- Pourquoi il s'appelait Hikler?
- (Éloi + Ulysse: *roulent des yeux*) HiTTLÈR, Albert. Dégage!
(Albert dégage, retrouver Blanche qui préfère ses petits trains à l'histoire du 20e siècle)

Et puis me voilà à expliquer le nazisme, 1933, les Alliés, les puissances de l'Axe, le front russe...

Je mime la position géographiques des pays avec mes mains, mais visiblement, à l'heure du 2.0, ce n'est pas assez interactif. Alors mon Ulysse se lève de table, revient avec du papier et un crayon à mine, met son pâté de chinois de côté, et dessine la carte de l'Atlantique nord.
Bon. Tente de dessiner la carte de l'Atlantique nord.

Alors je mets mon assiette de pâté chinois de côté, je prends une de ses feuilles et son crayon et je dessine la bataille de l'Europe. Le mur de Berlin. La guerre froide. Jusqu'en 1990.

Je te jure. On aurait dit Point de Mire.

Leurs yeux, ouverts et vifs, comme si le monde se déployait devant leur pâté chinois.

Avant d'avoir des enfants, c'est quand j'imaginais des soupers comme celui-là que ça me donnait le goût d'en avoir.