mardi 9 août 2011

Nostalgie

"Z'avez en masse de gaz pour tout le voyage!" nous avait dit le propriétaire de la tente-roulotte qu'on a louée pour notre voyage en Gaspésie.

3 jours après le début du périple, on a pu constater qu'il avait tort.

Qu'est-ce qu'on fait quand on a plus de gaz et qu'on se trouve à 50 km de toute civilisation? On cuit sur le feu, pardi.


"Comme c'est chouette!" ai-je dit à mon homme le premier soir. "Et puis, ça goûte bon, non? On devrait toujours, toujours, toujours cuire sur le feu dorénavant, en camping."

Cuire sur le feu, c'est bon pour l'esprit de famille. Ça prend un papa avec de bonnes compétences de scout (ou de ti-boy de la campagne) pour allumer.

Quelques enfants pour oxygéner afin que la flamme survive.

Et une maman pour apprêter le tout.

Cuisiner sur le feu, tu vois, Annie, c'est un peu comme l'amour. Il faut y mettre du temps, de l'énergie, de la patience, de l'effort.

La cuisine des maisons de ville, avec son banal fourneau à gaz ou à l'électricité, sera toujours pauvre de la gaieté que rayonnait l'âtre antique. Les inventions modernes, si perfectionnées soient-elles, ne remplaceront jamais le bon feu de cheminée ... Leur chaleur pressée, contrôlée, ne saurait provoquer les longues causeries au clair de la flamme.
On peut lire cette extrait dans un livre d'économie familiale publié à la fin des années trente par la Congrégation Notre-Dame.

Les Québécoises ont cuit dans l'âtre, directement sur le feu, jusqu'au milieu du 19e siècle. C'est à ce moment qu'on a vu apparaître les premières cuisinières commercialisées. Le fameux poêle à bois en fonte qu'on voit souvent dans les chalets ou les vieilles maisons québécoises. Un peu comme celui-ci que nous avons vu dans un ancien magasin général.

Le poêle à bois servait à la fois à la cuisson des aliments et au chauffage de la maison. Aussi étrange que cela puisse nous paraître, il a d'abord été accueilli froidement puisqu'on craignait qu'il soit responsable de nombreux maux.

Comme quoi, on a toujours craint la technologie, Annie.

C'est vers 1920, qu'on a vu apparaître les premiers poêle au gaz et à l'électricité. Les familles qui pouvaient se le procurer, ou qui disposaient de l'électricité nécessaire à son fonctionnement, ont dû être bien heureuses de pouvoir utiliser cette merveille de la technologie qu'on pouvait allumer et éteindre à souhait, et qui ne chauffait plus toute la maison.

Bon d'accord, on faisait sans doute moins de veillées au bord du feu, je veux bien. Mais crois-tu ça, Annie, que les femmes qui ont profiter des premiers poêles au gaz ou à l'électricité ont pu regretter l'âtre ou le poêle à bois? J'ai lu ça dans un article:

(...) les femmes qui en bénéficient se retrouvent de plus en plus isolées devant un fourneau qui n'appelle plus la sociabilité engendrée par un appareil autrefois destiné non seulement à la cuisson des aliments, mais aussi au chauffage de la maison.
(L'impact des innovations technologiques sur la vie quotidienne des Québécoises du début du XXe siècle (1910-1940), Suzanne Marchand, Bulletin d'histoire de la culture matérielle.)
À ça, moi je dis, no fucking way.

Ah, c'est très chouette cuire sur le feu un bon soir de camping. Très chouette, oui.

Sauf que.

As-tu déjà essayé, Annie, de bouillir de l'eau sur un ostie de feu? As-tu déjà demandé à ton homme, en manque de caféine, de partir un bon feu à 7h13 du matin? Deux heures que ça prend faire bouillir assez d'eau pour remplir ma minuscule tasse de thé et son énorme bodum. Deux heures. Et pis, l'eau, elle goûte pareil, sur le feu de bois ou sur le feu à gaz.

C'est juste au moment où il allait abdiquer et s'enfiler deux bons Coke tout froids qu'il a déclaré en trempant son index dans la casserole : "Bon, elle est assez chaude pour le café, cette eau-là."

Le même après-midi, c'est avec plaisir qu'on est allé remplir la bonbonne de gaz au Rona du village. Et on s'est juré que jamais, plus jamais, on ne voyagerait sans une deuxième bonbonne de propane.

Comme quoi, la nostalgie, c'est bien bon pour les soirs tranquilles de camping en famille, mais un peu moins le lendemain matin.

3 commentaires:

Manon a dit…

ben coup donc! On a vécu semblable aventure cette année en camping...

Mais moi je pense que c'est bon de passer par ce moment plutôt "pas drôle" pour apprécier ce qu'on a.

Madeleine a dit…

C'est clair que le camping en général nous fait apprécié notre confort.

Cela dit, je nous trouve très nostalgiques en général. Je voulais simplement en rire un peu!

Annie a dit…

Quelle belle enquête!

Le pire, c'est que ce n'est pas le propre de notre époque d'être nostalgique... Très révélateur de lire des textes du début du 20e siècle déplorer la "disparition du repas d'autrefois"...

Ceci dit, je pense quand même que les (des) femmes ont célébré la fin de l'âtre. L'historienne Denyse Baillargeon m'en parlait d'ailleurs. Elle me disait aussi à quel point les femmes étaient heureuses de voir arriver la cuisinière électrique, l'eau courante etc. Ça quand même beaucoup faciliter leur vie. Malheureusement après, sont nés les attentes, qui sont venues la re-compliquer cette vie...