lundi 5 juillet 2010

Je ne suis pas une superwoman

Je fais mon pain, depuis presque deux ans. J’en avais d’ailleurs parlé ici. C’est un réel plaisir de faire cet aliment de base, cet aliment sacré. C’est très symbolique pour moi. Plein de sens. Sans compter que c’est archi économique. Pratique aussi. J’aime tester des recettes. Je suis devenue habile d’ailleurs. Rien à envier aux bonnes boulangeries.

Sauf que là, ça fait plus d’un mois que je n’ai pas fait de vraie bonne miche. Depuis le printemps, j’allume en fin de journée, quand il est presque trop tard, en me disant : " F***! J’ai oublié de faire mon pain!"

Ou encore, je l’oublie sur le comptoir entre deux levées parce que je suis partie faire autre chose. Je me suis souvent retrouvée épuisée, rêvant de mon lit, mais obligée de rester debout pour faire cuire mon &?%#$*?&%$ de pain à 23h30.

D’ailleurs, il n’est même plus bon, mon pain. Les enfants ne le mangent plus, si bien que s’accumule sur mon comptoir, une quantité impressionnante de pain sec pour faire de la chapelure.

« Je n’ai plus envie de faire mon pain. » ai-je finalement avoué à Annie.

Alors j’arrête. Je prends une pause. Ça va bien finir par revenir. Ce n’est pas parce que je prends un temps d’arrêt que je n’y reviendrai pas plus tard. J’ai juste envie d’autres choses ces temps-ci. Ou de rien, tiens. Et ce n’est pas plus grave.

Après tout, ce n'est que du pain, n'est-ce pas?

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Avec l’attention qu’a suscitée la parution de notre livre, je suis de plus en plus confrontée ces jours-ci à l’image de superwoman qu’on me renvoie. Ça commence par une conversation anodine autour d’une assiette de trempette, puis ça se termine immanquablement par cette remarque : « Mais comment tu fais pour (élever quatre enfants/mener ta carrière/écrire un livre/tenir un blogue/t’entraîner à la course)? PIS TU FAIS MÊME TON PAIN? Dors-tu la nuit? » Bien que flattée devant tant d’éloges, il n’en reste pas moins que je n’ai pas encore trouvé de réponse courte à cette question, celle qui me permettrait de ne pas me lancer dans une longue tirade sur mon organisation familiale, sur ma vision de la vie et sur toutes les petites choses qui font que ce n’est pas si difficile que ça en à l’air (dans la mesure où j’ai accepté que ce ne serait pas toujours facile non plus).

Il n’y a pas de réponse simple à cette question puisque la réalité est complexe, pas toujours facile à négocier, pas toujours parfaitement équilibrée. Je mentirais de dire que ça roule tout seul. Mais je mentirais également de dire que c’est de la torture. Si ça l’avait été, j’aurais lâché il y a longtemps : je suis beaucoup trop hédoniste pour ça.

Souvent, pour essayer faire plus court, je m’exclame : Ah! Je fais bien tout ça, mais je ne fais pas de ménage! Ou encore : C’est grâce à mes horaires flexibles de travail! Et finalement : C’est pas si pire: quatre enfants, c’est quasiment comme n’avoir rien qu’un…

« Ne diminue pas tes réussites! » me dit avec sagesse la belle-mère de ma sœur, elle-même mère et professionnelle.

Oui, mais je fais comment, belle-mère de ma sœur, pour expliquer que je fais juste comme tout le monde? Juste mon gros possible? Juste ce qu’il faut pour essayer d’atteindre le mieux possible ce qui ressemble au bonheur? Le vrai, là. Celui qui comble la tête, le cœur, le corps ?

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Dans la recherche d'une réponse, et pour alimenter mon éternelle réflexion sur la maternité et le féminisme, je suis tombée sur cet article (en anglais). Il réfléchit sur la difficile question de l’équilibre travail/famille, ou, comme les auteures la nomment, de l’équilibre pouvoir/amour. Nous avons besoin des deux, disent celles qui se définissent comme des féministes de la troisième génération. Vivre, c’est constamment renégocier, faire pencher la balance un peu plus d’un côté que de l’autre, au gré des circonstances. Le parfait équilibre, lui, n’existe pas. Il y aura toujours quelques pertes. Suffit de trouver celles qui font le moins mal, en évaluant avec réalisme la situation dans laquelle on se trouve.

Ce qui me ramène à penser à mon pain, tiens. Quand je trouve un pas pire dosage entre la farine, la levure et le sel, quand je le pétris juste assez, ça lève tout seul. D'autres fois, c'est plus ardu. Il faut alors que je remette tout sur ma petite balance et que je remesure. Ou que j'attende un peu plus longtemps. Que je laisse reposer.

Et d'autres fois encore, il faut carrément que je laisse tomber. Pour y revenir plus tard. Quand les temps seront plus propices.

Mais, bien sûr, ce n'est que du pain, n'est-ce pas?

5 commentaires:

Maman pieuvre a dit…

Très bien dit. Ce n'est que du pain. Voilà une phrase qui pourrait passer dans les annales de toute mère de famille.

Manon a dit…

Moi je crois qu'on fait ce qu'on est capable et ce qui a de l'importance pour nous... Et ceci est très différent d'une personne à l'autre et dans le temps aussi pour une même personne. Très dynamique avec beaucoup de souplesse.

On me dit souvent la même chose à cause des conserves...

Mais moi j'aime ça, c'est pas une corvée. Me l'enlever c'est comme m'enlever un jouet ;)

Biensur il m'arrive de passer tout droit parfois, je ne fais pas toujours tout ce que je rêve de faire... Il y a parfois des impossibilités à tout concillier et je dois faire des choix à ce moment là.

Lâche pas woman ordinaire des temps modernes!!!

Annie a dit…

Belle réflexion Madeleine.

Je trouve quand même sombre le texte des "jeunes féministes de la 3e vague"...

Souvent, j'ai l'impression que l'on présente les femmes comme ayant des vies par compartiments, par dossiers, qui seraient en lutte constante l'un contre l'autre. Personnalités multiples en affront perpétuel.

Et si on se permettait de n'être qu'une seule personne, celle qui peut choisir de vivre comme elle a envie de vivre? Ne pas penser pas aux pertes, mais au gain que le fait de vivre ici, à cette époque, nous permet collectivement, non pas uniquement comme femmes, mais comme êtres humains?

Quand j'y pense, je trouve réducteur le terme "superwoman", comme si une femme devait se contenter d'une seule et unique dimension pour garder son équilibre autrement, elle chute?

Ça sert qui au juste de propager cette idée de la superwoman?

tk

Ton pain sec me donne rudement l'envie d'une soupe à l'oignon... (Froide, ça serait quand même bon tu penses?)

Anonyme a dit…

Ça fait du bien de lire ça... Et moi, je fais mon pain à la machine...

Madeleine a dit…

Maman pieuvre: Oui, ce n'est que du pain, mais en même temps, ça pousse à la réflexion, non?

Manon: C'est bien ça. Je suis loin de faire TOUT ce que je voudrais faire, mais je fais ce qui est important.

Annie: Tu trouves ça sombre, vraiment? Moi pourtant, je trouve cela rafraîchissant et réaliste. Ça faisait longtemps que je voulais lire un texte comme celui-là. L'équilibre parfait n'existe pas. On ne peut pas tout faire. Alors il faut accepter, oui, de perdre un peu par rapport à nos grands plans idéalistes. Mais je suis d'accord pour dire qu'au bout du compte, on y gagne, comme être humain. J'aime particulièrement le passage ou elles disent qu'elles ont l'impression que le féminisme leur a donné ce qu'il faut pour se battre pour le pouvoir, mais pas nécessairement pour se battre pour l'amour. Cela illustre bien qu'une "cause" n'est jamais vraiment la somme des individus qui la défendent.

Anonyme: J'ai jadis eu un machine à pain qui a rendu l'âme. C'est alors que je suis devenue accro du pain fait main... Attention que ça ne vous arrive!