Un historien me disait que le Québec n'a pas de tradition culinaire mais des traditions culinaires. Le Québec n'a pas d'identité alimentaire, mais des identités alimentaires.
Autrement dit, "manger à la Québécoise", ce n'est pas manger comme au temps de la Nouvelle-France. Cela exclurait de notre répertoire toutes les intégrations que les gens de ce pays ont fait par la suite, et qui sont restées jusqu'aujourd'hui des marqueurs de la culture alimentaire. Comme la tourtière, tiens.
Ou encore la "cuisine italienne" par exemple, celle que l'on fait dans le quotidien aujourd'hui (spaghetti, macaroni, pizza): eh bien elle est présente dans les foyers québécois depuis presque aussi longtemps que notre fameuse tourtière. En plus, elle a bien peu à voir avec la cuisine du quotidien que l'on mange en Italie. C'est à dire que nos sauces à spag Madeleine, elles sont beaucoup plus de notre culture que d'Italie.
Un autre exemple. Tous nos desserts sucrés, eh bien ils sont là parce qu'il y a eu le Régime Anglais. En Nouvelle-France, les colons mangeaient très peu de sucre. Environ 1kg par personne par an. Les Britanniques eux, en mangeaient 6 à 7 fois plus. Ils avaient en plus conservé un goût pour le sucré-salé, absent de la cuisine française de l'époque, et l'intégrait bien dans leurs apprêts. Alors ça pris quelques années de Régime Anglais pour que les Canadiens se mettent à développer leur goût propre pour le sucré.
Notre histoire alimentaire est mal connue. Pas seulement de nous, le monde ordinaire, mais aussi des historiens. On a peu travaillé sur le répertoire historique des plats du quotidien. Et s'il n'est pas réellement important aujourd'hui de cuisiner comme on le faisait en Nouvelle-France, n'est-il pas drôlement pertinent de savoir ce qu'on y mangeait? Et ce qu'on mangeait sous le Régime Anglais, et ensuite au début du 20e siècle?
Ce goût qui nous est propre, celui-là même que nous pouvons offrir au monde, c'est là qu'il prend racine: dans tout ce qui fait qu'on est nous et pas quelqu'un d'autre.
L'auteur Michel Lambert en a fait sa quête. Depuis 10 ans, il écrit une colossale Histoire de la cuisine familiale au Québec. Il a amassé des témoignages de partout au pays afin de dégager une idée de ces plats passés du quotidien. Il me disait qu'il aimerait, un jour, publier ces recettes. Je n'ai pu que l'inviter à le faire! Hachis, fricassées, oies rôties, gâteaux "de Savoie", soupes et potages, autant de plats savoureux véritablement d'ici, que sa formation de chef lui permet d'adapter à la réalité d'aujourd'hui.
- Les bines, c'est ordinaire, ironisait-il, le cassoulet? Ah! C'est merveilleux! Pourquoi avoir honte de ce patrimoine? Toutes les grandes cuisines du monde sont à la base des cuisines paysannes.
Alors. Est-ce que je mange québécois?
Il n'y a rien de mal à ce que l'idée alimentaire québécoise m'habite. À ce que je la transmette à mes enfants. Le hachis que je vous ai fait ce soir? Votre arrière-grand-mère en cuisinait aussi pour ses enfants. Et le pouding aux petits fruits pour le dessert, c'est parce que les Anglais sont arrivés ici un jour que je peux vous le servir.
Y'a rien de mal à être d'ici.
Ah oui, et demain, on mange des sushis.
3 commentaires:
Bonjour Madeleine,
Je suis journaliste et j'aimerais vous parler en privé pour un article que je suis en train de rédiger.
Pouvez-vous me donner vos coordonnées par courriel, s'il vous plait.
ojouanneau@yahoo.ca
Merci beaucoup et bien à vous.
Odile
Quoi, des sushis c'est pas québécois ;-)
Ha! Les fameux livres de Michel Lambert! Passionnant! J'ai la partie 1 et 2, c'est mon livre de chevet depuis... un an et demi!!! Tellement riche d'histoire et d'anectodes, d'ailleurs j'ai adoré lire celles qui relate la façon dont les binnes sont "montées" au Québec.
Je n'avais pas pensé que notre présent deviendrait le tronc de notre culture un jour... Comme si notre culture, fallait qu'elle se fige dans le passé... J'avoue que la sauce à spaghetti... il serait peut-être temps de se l'approprier un m'ment donné!!!
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