lundi 12 avril 2010

Couvrir en bardeaux

On n'a pas réussi cette année.
"Couvrir en bardeaux", c'est une vielle expression qui signifie avoir assez de provisions pour se rendre jusqu'à la prochaine récolte. De nos jours, on couvre pas mal moins en bardeaux qu'à l'époque de la Nouvelle-France par exemple. En fait, je dirais que plus personne ne couvre en bardeaux, sauf peut-être des irréductibles comme Manon.

Mais chez nous,
on essaie de le faire avec le sirop d'érable.
Et on a presque réussi!
Juste deux recettes de sirop de poteau
et une boîte volée à mes parents.
J'ai eu la grande chance d'avoir un oncle qui avait une terre avec une petite érablière. Pendant des années, on a fêté les sucres chez lui, dans sa vieille cabane en bois gris. Pendant des années il a fait du sirop pour toute la famille. Je revois les sacs doublés de Steinberg en papier brun pleins de boîtes de sirop de l'année. Mes parents les rangeaient au sous-sol, en haut de la machine à laver.

Le sirop de mon oncle était foncé. Ça été le premier que j'ai goûté. L'aune à laquelle tous les autres doivent se mesurer.

Il y a quelques années, mon oncle a vendu sa terre et ses érables avec. Chaque printemps j'ai l'impression que c'est un petit bout de ma famille qui est disparu chez le notaire.

Pendant quelques temps, on a erré. On ne savait plus trop où trouver le sirop de l'année. Une année j'ai acheté d'une collègue. Il venait de la Beauce, mais je n'ai pas revue la collègue le printemps d'ensuite. Une autre année, un collègue français me proposait celui de sa terre. Il était si pâle qu'il ne goûtait rien. Sacré Français qui vont venir nous dire comment faire le sirop!

Depuis trois ans toutefois, j'ai trouvé ma niche. Encore un collègue qui s'improvise pusher. Son vieux voisin à la campagne. Il a une terre. Il élève des poules, un cochon, quelques vaches. Et il a des érables. Juste assez pour faire un peu de sirop. Il le vend trois fois rien, comme mon oncle. Et il est foncé, comme mon oncle.

Alors c'est plusieurs galons que j'ai acheté. Pour nous. Pour mes parents. Encore plus que l'an dernier parce qu'on est plus. Et qu'on aime les gaufres et que je fais mon yogourt. Et pour que ça déborde des mes armoires déjà trop petites.

Je veux que mes enfants sachent,
comme je l'ai su avant eux,
que venir de ce pays
veut dire faire le plein de sirop au printemps.

Mais quand même, en pensant à mon oncle et en pensant à ce vieux voisin de mon collègue, lui même plus une jeunesse, je ne peux m'empêcher de me demander
qui demain fera le sirop
pour ces adultes que seront devenus mes enfants?

5 commentaires:

Achat local 100% Québec a dit…

Nous on est chanceux, il y a encore 2 cabanes dans ma famille!

On a souvent tendance à oublier que le patrimoine c'est aussi... nous. Lorsque j'étais enfant nous entaillions les érables dans la cours! On vivait en banlieu, un terrain minuscule mais avec des érables.

Peut-être que la relève, ce sera l'un de tes mousses?

Manon a dit…

Oh Annie, je couvre peut-être en bardeaux, mais pas pour tout les items ;)

Non, je couvre en bardeaux si on prend l'ensemble de ce que j'ai dans mon congélateur et mes bocaux mason... Mais de façon individuel (pour chaque type d'aliment) je n'y arrive pas tout le temps.

D'ailleurs, ça parait que j'ai accouché en pleine saison des tomates italiennes l'an dernier... Moi et mon homme, nous avons fait l'inventaire bi-annuel des pots mason dimanche... Il ne me reste que 16 malheureux litres de sauce tomates pour me rendre jusqu'au mois de septembre (ça représente quand même 5 mois, presque la moitié de l'année)... Je devrai définitivement en faire plus l'automne prochain. Il y a 10 ans, je cannais une manne... L'an dernier ce fut 3 mannes (j'en fais 3 depuis que j'ai 2 enfants)... Cette année, je devrai en faire au moins 4 mannes, probablement 5 selon le type de recette à faire.

Cette année, je suis arrivée à ma dernière canne de sirop la même semaine que mon voisin (qui me vend le sirop) appelait pour savoir combien de gallon on prenait cette année et me dire le prix de son sirop (au gallon évidemment, pas à la cacanne!).

Cette année, nous avons choisi de lui fournir un gallon en verre pour y mettre le sirop au lieu des cannes de métal. Pour lui, c'est moins de travail, pour nous ça coûte moins cher et pour l'environnement ça fait moins de matière à envoyer au recyclage, car nous allons réutiliser notre gallon de verre d'année en année pour le sirop.

Et la cabane, pour moi, c'est pas un resto... c'est un endroit où on fabrique le sirop. J'ai plein de souvenirs d'enfance liés à la cabane de mon grand-père... L'odeur, la vapeur qui remplie la place quand on fait bouillir, les toasts sur le bord du poêle de l'évaporateur (ces toasts-là c'est imposible de les avoir ailleurs!), le plancher de terre battue, les feutres posés avec des épingles à linge sur les bidons à lait en métal quand on coule le sirop, les chaises tressées (un peu défoncées) en babouche, la vieille table, le vieux transitor, le jeu de carte... et pas de bécosse!

caitya a dit…

mmmm

m'semble que je sens d'ici le sirop foncé sur mes papilels !

:)

la relève, elle sera de qui ou de quoi ?

Tu vas p'tetre pas aimer mon écrit, pas son contenant, mais son contenu, mais je le livre quand même.

La "relève", elle sera plutôt industrielle je crois, puisque d'année en année les volumes produits sont de plus en plus sous le contrôle de la Fédération des producteurs acéricoles. Et que dans le sirop comme dans le lait de vache, ya des quotas. Que produire hors quota (sans payer sa cote a la fédé) c'est une offense administrative passible d'amende.

Ouaip

a qui appartient la Terre, a ses enfants, ou ses fonctionnaires...


Ya quelques années je cherchais du sirop pour ajouter en grosses batches de yogourt. Le calvaire, je te dis pas. C'étauit vraiment haut les prix, è moins d'acheter un baril a 1000 quelques dollars.

Puis un farmer du coin m'a fait "une passe pas cher" à 5$ le LITRE ! Mes amies, j'ai sauté là dessus, lui en ai acheté 60 litrs du coup, que j'ai congelé et utilisé peu a peu dans l'année.

Mais il s'est "fait pogner", payé son amende et basta le contact de pusher, un à un, avec qui te parle de ses arbres et de sa saison des sucres.

C'est vrai que de petits morceaux de patrimoine s'effritent dans les bureaux de notaires tsé....


Et si ta relève en a envie, j'ai 5 000 (petites) entailles qui ne demanderaient qu'un peu d'amour pour reprendre vie, t,en parlera à Albert, d'un coup...

:)

xx

mp

Ciorane la pauvresse a dit…

C'est bien quand les enfants peuvent ainsi se fabriquer des souvenirs si parfumés. Chez moi, c'est le Maroilles, un fromage qui pue comme des pieds pas lavés de quinze jours. Un autre plaisir...

Annie a dit…

Ciorane: on fait un échange culturel? C'est quand vous voulez :)))